Bien qu'appartenant, en apparence, au mouvement de l'abstraction lyrique, ce ne serait pas rendre justice aux œuvres de Frédérique Orus que de les classer du côté d'une recherche plastique qui n'aurait d'autre ambition que d'exprimer, avec des matières et des couleurs, de simples mouvements d'humeurs. Car à se contenter d'un tel jugement, on ne ferait que passer sous silence ce qui constitue pourtant le cœur alchimique de sa démarche et, par là-même, ce qui donne à sa peinture sa véritable portée « allégorique », c'est-à-dire, ce qui en fait une peinture dont le sens excède sa matérialité même et, plus encore, peut-être, une peinture visant à « faire empreinte dans la chair en vue d'une conversion spirituelle » (Origène).
par Frédéric-Charles Baitinger
Ayant, en effet, toujours aspiré à faire de sa pratique artistique l'équivalent d'une méditation spirituelle (et non, comme Jackson Pollock, un lieu où puisse se défouler sa sensibilité), ce n'est qu'au moment où Frédérique Orus comprit qu'elle ne pouvait atteindre à une telle extase visuelle que dans le plus grand silence (et non portée par le rythme étranger d'une musique qui n'était pas la sienne, c'est-à-dire, portée par le rythme d'une transe qui ne lui était pas purement intérieure) que son oeuvre put enfin s'élever à la hauteur du mystère dont elle se voulu toujours le vestige – et non la trace. Car le vestige, à la différence du signe ou du symbole, n'est jamais seulement la représentation codifiée d'un mystère (son historia), mais son incarnation même, c'est-à-dire, sa mise en corps dans un monde qui lui est essentiellement dissemblable. Voici comment Frédérique Orus parle, avec ses mots à elle, de ce mystère :
« Je me suis rendu compte, il y a quelques années maintenant, que j'avais besoin de silence pour être ici et maintenant, c'est-à-dire, soustraite à toute influence extérieure. Car c'est seulement dans ce là, dans cet ici et maintenant, que je peux approfondir et que peuvent se produire des moments de grâce; des moments où je pars dans l'image, dans la toile, où je me dissous complètement. Bien entendu, ces instants de grâce sont fugitifs, car dès que je prends conscience que je me trouve dans cet état, je n'y suis plus. Mais pendant un millième de seconde, au moins, j'ai eu l'impression que tout était parfait. »
Toutefois, et bien que le rapprochement ne soit pas sans posséder quelque valeur (pour une toile comme Ange, par exemple), ce n'est pas seulement du côté des textes de la tradition chrétienne qu'il faut se tourner pour pouvoir déchiffrer le message hermétique que contiennent ces œuvres, mais bien aussi du côté de toutes les grandes mythologies païennes et, plus particulièrement encore, du côté des textes de la mythologie Celte ou de ceux de la tradition des indiens aborigènes d’Amérique. C'est ainsi, par exemple, que dès l'instant qu'on regarde des œuvres comme Wabouse ou Shawnodese en les rapportant à la juste culture qui les inspirèrent, celles-ci cessent d'être seulement la mise en forme plastique de tourbillons de matières et de couleurs laissant transparaître, par endroits, les vestiges d'une lumière pure et toute puissante, mais qu'elles deviennent aussi (et en supplément) la saisie plastique de ce que représentent les Esprits qui gouvernent la Grande Roue médicinale (The Medecine Wheel) des cultures amérindiennes.
Dans le cas précis d'une toile comme Shawnodese – terme qui correspond, dans cette mythologie, à l'esprit qui veille sur la direction du sud (c'est-à-dire, sur la saison la plus « chaude » de la vie : l'été), ce qui compte est l'idée d'un bouillonnement vital, d'un débordement d'énergie et, plus encore, l'idée que toute créature vivante qui atteint au sommet de son développement cherche toujours à explorer – et cela sans discrimination – toutes les possibilités qui s'offrent à elle. Et dans cette exploration, dans cette ouverture risquée à l'Autre, ce qui se joue n'est pas tant le sens de la découverte que celui de l'apprentissage et de l'illumination (qui ne peut avoir lieu qu'à partir du moment où un être se met en danger et accepte d'apprendre de ses fautes). C'est là pourquoi, dans l'oeuvre de Frédérique Orus qui correspond à ce titre, les mouvements de matière qui animent sa toile, ainsi que les formes qui en émanent sous une apparence chaotique, ne sont à voir que comme la matérialisation plastique d'un tel mouvement. A savoir : le mouvement d'un être qui parvient enfin à se rassembler en son essence au moment où il accepte d'éclater (de s'ouvrir) matériellement.
Mais plutôt que de clôturer notre texte sur une telle note abstraite, laissons plutôt à l'artiste le soin d'achever sa propre présentation : « Personnellement, je n'ai pas de concept : je suis instinctive. Ma peinture répond à mon besoin de peindre. Pour moi, créer, c'est mettre en action la partie la plus divine de mon âme. »
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